Pour fêter l'Assomption, je prenais un Bloody Mary.
Quelques verres plus tard, j'étais prêt pour refaire le monde et justement y avait Martin qui s'ramenait.
La princesse de Galles s'était gauffrée plusieurs jours auparavant et la
stupeur passée, c'était seulement maintenant qu'on
entendait des vannes à son sujet.
On remarque alors qu'il n'y avait
personne dans les rues, à cause de la chaleur; pas de voitures,
rien. Quand il fait très froid, non plus, il n'y a personne dans
les rues; c'est lui, même que je m'en souviens, qui m'avait dit
à ce propos :
« Les gens de Paris ont l'air toujours d'être occupés, mais en
fait, ils se proménent du matin au soir; la preuve, c'est que
lorsqu'il ne fait pas bon se promener, trop froid ou trop chaud,
on ne les voit plus; ils sont tous dedans à prendre des
cafés-crème et des bocks. C'est ainsi! Siècle de vitesse!
qu'ils disent. Où ça? Grands changements! qu'ils racontent.
Comment ça? Rien n'est changé en vérité. Ils continuent à
s'admirer et c'est tout. Et ça n'est pas nouveau non plus. Des
mots, et encore pas beaucoup, même parmi les mots, qui sont
changés! Deux ou trois par-ci, par-là, des petits...»
Bien fiers alors d'avoir fait sonner ces vérités utiles, on est demeuré là assis, ravis, à mater les filles autour.
Martin, il en était pas à son premier verre non plus, ça fait que la conversation elle a fini par s'emballer un peu.
- Moi je la défends la race
française ! qui dit comme ça, Martin, à propos d'une de mes
remarques désabusées.
- Elle en a bien besoin la race françaiise, vu qu'elle n'existe
pas que j'ai répondu moi pour montrer que j'étais documenté,
et du tac au tac.
- Si donc! qu'il y en a une! Et une bellle de race! quil insistait
lui, et même que c'est la plus belle race du monde, et bien cocu qui s'en dédit! Et puis, le voilà parti
à m'engueuler. J'ai tenu ferme bien entendu.
- C'est pas vrai! La race. ce que t'apppelles comme ça, c'est
seulement ce grand ramassis miteux dans mon genre, chassieux,
puceux, transis, qui ont échoué ici poursuivis par la faim, la peste, les tumeurs et le froid, venus vaincus des
quatre coins du monde. Ils ne pouvaient pas aller plus loin à
cause de la mer. C'est ça la France et puis c'est ça les
Français.
- Bardamu, qu'il me fait alors gravemennt et un peu triste, nos pères nous valaient bien, n'en dis pas de mal!...
- T'as raison, Martin, pour ça t'as raiison! Haineux et dociles,
violés, volés étripés et couillons toujours ils nous valaient
bien! Tu peux le dire! Nous ne changeons pas! Ni de chaussettes,
ni de maîtres, ni d'opi-
nions, ou bien si tard, que ça n'en vaut plus la peine. On est
nés fidéles, on en crève nous autres! Soldats gratuits, héros
pour tout le monde et singes
parlants, mots qui souffrent, on est nous les mignons du Roi Misére.
C'est Lui qui nous posséde! Quand on est pas sages, il serre...
On a ses doigts autour du cou, toujours, ça gêne pour parler,
faut faire bien attention si on tient à pouvoir manger... Pour
des riens, il vous étrangle...C'est pas une vie...
- Il y a
- Martin, l'amour c'est l'infiini mis à la portée des
caniches et j'ai ma dignité moi! que je lui réponds.
- Quel numéro! Parlons-en de toi! T'es un anarchiste et puis voilà tout!