place Clichy, août 1914

 

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- J'en suis, moi, pour l'ordre établi ett je n'aime pas la politique. Et d'ailleurs le jour où la patrie me demandera de verser mon
sang pour elle, elle me trouvera moi bien sûr, et pas fainéant, prêt a le donner.
Voilà ce qu'il m'a répondu.
Justement
la guerre approchait de nous deux sans qu'on s'en soye rendu compte et je n'avais plus la tête très solide. Cette brève mais vivace discussion m'avait fatigué. Et puis, j'étais ému aussi parce que le garçon m'avait un peu traité de sordide à cause du pourboire. Enfin, nous nous réconciliâmes avec Martin pour finir, tout à fait. On était du même avis sur presque tout.
- C'est vrai, t'as raison en somme, que j'ai convenu, conciliant, mais enfin on est tous assis sur une grande galère, on rame tous à
tour de bras, tu peux pas venir me dire le contraire!... Assis sur des clous même à tirer tout nous autres! Et qu'est-ce qu'on en a ? Rien! Des coups de trique seulement, des misères, des bobards et puis des vacheries encore. On travaille! qu'ils disent. C'est ça encore qu'est plus infect que tout le reste, leur travail. On est en bas dans les cales à souffler de la gueule, puants, suintants des rouspignolles, et puis voilà! En haut sur le pont, au frais, il y a les maîtres et qui s'en font pas, avec, des belles femmes roses et gonflées de parfums sur les genoux. On nous fait monter sur le pont. Alors, ils mettent leurs chapeaux haut de forme et puis ils nous en mettent un bon coup de la gueule comme ça : « Bandes de charognes, c'est la guerre! qu'ils font. On va les aborder les saligauds qui sont sur la patrie n°2, et on va leur faire sauter la caisse! Allez! Allez! Y a de tout ce qu'il faut à bord! Tous en choeur! Gueulez voir d'abord un bon coup et que ça tremble : « Vive la Patrie n°1! » Qu'on vous entende de loin! Celui qui gueulera le plus fort, il aura la médaille et la dragée du bon Jésus! Nom de Dieu! Et puis ceux qui ne voudront pas crever sur mer, ils pourront toujours aller crever sur terre où c'est fait bien plus vite encore qu'ici! »
- C'est tout à fait comme ça! que m'apprrouva Martin, décidément devenu facile à convaincre.
Mais voilà-t-y pas que juste devant le café où nous étions attablés un régiment se met à passer, et avec le colonel par-devant sur son cheval, et même qu'il avait l'air bien gentil et richement gaillard, le colonel! Moi, je ne fis qu'un bond d'enthousiasme.
- J' vais voir si c'est ainsi! que je crrie à Martin, et me voici parti m'enrager, et au pas de course encore.
- T'es rien c... Ferdinand ! qu'il me crrie! lui Martin en retour, vexé sans aucun doute par l'effet de mon héroïsme sur tout
le monde qui nous regardait.
Ça m'a un peu froissé qu'il prenne la chose ainsi, mais ça m'a pas arrêté. J'étais au pas. « J'y suis, j'y reste! » que je me dis.
- On verra bien, eh navet! que j'ai mêmee encore eu le temps de lui crier avant qu'on tourne la rue avec le régiment derrière le colonel et sa musique. Ça s'est fait exactement ainsi.
Alors on a marché longtemps. Y en avait plus qu'il y en avait encore des rues, et puis dedans des civils et leurs femmes qui nous poussaient des encouragements et qui lançaient des fleurs, des terrasses, devant les gares, des pleines églises. Il y en avait des patriotes! Et puis il s'est mis à y en avoir moins des patriotes...
La pluie est tombée, et puis encore de moins en moins et puis plus du tout d'encouragements, plus un seul, sur la route.
Nous n'étions donc plus rien qu'entre nous? Les uns derrière les autres ? La musique s'est arrêtée.
« En résumé, que je me suis dit alors quand j'ai vu comment ça tournait c'est plus drôle ! C'est tout à recommencer! » J'allais m'en aller. Mais trop tard ! Ils avaient refermé la porte en douce derrière nous les civils. On était faits, comme des
rats.

 

 

BIBLIO