Athènes, 200 avant JC,
quelques heures plus tard,

 

(La scène se passe en prison, dans ma cellule. La plupart du temps, je reste assis, solitaire, absorbé par quelque problème ardu de la pensée rationaliste, tel que : « Peut-on qualifier d'oeuvre d'art un objet qui sert à récurer les fourneaux ? » Au lever du rideau, je reçois la visite de Simmias et Agathon.)

AGATHON. - Ah ! mon bon ami, vieil homme d'une profonde Sagesse. Comment se passent vos jours de captivité ?
ALLEN. - Que peut-on dire de la captivité, Agathon? Seul le corps peut être circonscrit. Mon esprit vagabonde librement, sans entraves et c'est pourquoi en vérité je demande : la captivitié existe-t-elle ?
AGATHON. - Eh bien, et si vous voulez aller vous promener ?
ALLEN. - C'est une bonne question. Je ne peux pas.

(Les trois personnages sont assis dans des postures classiques, et ne sont pas sans évoquer un bas-relief. Finalement, Agathon reprend la parole.)

AGATHON. - Je crains que le monde ne soit méchant. Vous avez été condamné à mort.
ALLEN. - Ah, je suis attristé d'avoir provoqué une discussion au Sénat.
AGATHON. - Sans discussion. À l'unanimité.
ALLEN. - Vraiment?
AGATHON. - Au premier tour.
ALLEN. - Hmmmm. J'aurais cru pouvoir compter sur quelques supporters.
SIMMIAS. - Le Sénat est furieux de vos projets d'un État utopique.
ALLEN. - Je pense que je n'aurais jamais dû suggérer de prendre un philosophe pour roi.
SIMMIAS. - Surtout en vous raclant la gorge et en vous désignant du doigt.
ALLEN. - Pourtant je n'éprouve nul ressentiment pour mes bourreaux.
AGATHON. - Moi non plus.
ALLEN. - Euh, oui, bon... car qu'est-ce que le mal, sinon un excès de bien ?
AGATHON. - Qu'est-ce à dire ?
ALLEN. - Regardons les choses ainsi si un homme chante une belle chanson, c'est merveilleux. S'il la chante pendant des heures, on commence à avoir la migraine.
AGATHON. - Exact.
ALLEN. - Et pour peu qu'il refuse de s'interrompre. il arrive qu'on ait envie de lui enfoncer des chaussettes dans la gorge.
AGATHON. - Oui, c'est tout a fait vrai.
ALLEN. - Quand la sentence doit-elle être exécutée ?
AGATHON. - Quelle heure est-il maintenant ?
ALLEN. - Aujourd'hui !
AGATHON. - Ils ont besoin de la cellule.
ALLEN. - Alors, qu'il en soit ainsi ! Qu'ils prennent ma vie. Qu'il soit bien enregistré que j'ai préféré mourir que renoncer aux principes de la vérité et du libre examen. Ne pleure pas, Agathon.
AGATHON. - Je ne pleure pas, c'est mon allergie.
ALLEN. - Pour l'homme qui pense, la mort n'est pas une fin mais un commencement.
SIMMIAS. Comment ça ?
ALLEN. - Eh bien, si vous me donnez une minute...
SIMMIAS. - Prenez votre temps.
ALLEN. - Est-il vrai, Simmias, que l'homme n'existe pas avant sa naissance ? N'est-ce pas ?
SIMMIAS. - C'est bien vrai.
ALLEN. - Et qu'il n'existe plus après sa mort ?
SIMMIAS. - Je suis d'accord.
ALLEN. - Hmmmm.
SIMMIAS. - Alors?
ALLEN. - Attendez une petite seconde. je me sens un peu brouillé.Vous savez, ici il n'y a que du mouton à manger, et il n'est jamais assez cuit.
SIMMIAS. - La plupart des hommes considérent la mort comme le néant final, c'est pourquoi ils la redoutent.
ALLEN. - La mort est un état de non-existence. Ce qui n'est pas n'existe pas. Donc, la mort n'existe pas. Seule la vérité existe. La vérité et la beauté. Elles sont interchangeables, mais sont des aspects l'une de l'autre. Euh, qu'ont-ils dit exactement qu'ils prévoyaient pour moi ?
AGATHON. - La ciguë.
ALLEN. - La ciguë ?
AGATHON. - Vous vous rappelez ce liquide noir qui a rongé votre table de marbre ?
ALLEN. - Vraiment?
AGATHON. - Rien qu'une petite coupe. Ils ont quand même prévu une soucoupe au cas où vous en renverseriez.
ALLEN. - Je me demande si c'est douloureux ?
AGATHON. - Ils se sont inquiétés de savoir si vous n'alliez pas faire un esclandre. Ca gène les autres prisonniers.
ALLEN. - Hmmmm...
AGATHON. - J'ai dit à tout le monde que vous mourriez bravement plutôt que de faillir à vos principes.
ALLEN. - Oui, oui, certainement... euh, est-ce que la notion d'exil a éte évoquée ?
AGATHON. - On a cessé d'exiler l'an dernier. Trop de paperasserie.
ALLEN. - Bon... eh bien... (troublé, distrait mais s'efforçant de garder bonne contenance) je, euh... eh bien, quoi de neuf à part ça ?
AGATHON. - Ah,j'ai rencontré Isocèle. II a une idée pour un nouveau triangle.
ALLEN. - Bien... bien... (cessant soudain de feindre le courage) Écoutez, je peux mettre de l'eau dans mon vin... Je ne veux pas mourir! Je suis trop jeune !
AGATHON. - Mais c'est votre seule chance de mourir pour la vérité !
ALLEN. - Ne vous méprenez pas. Je suis totalement pour la vérité, mais d'un autre côté, j'ai un déjeuner à Sparte la semaine prochaine, et je ne voudrais pas le manquer. C'est à mon tour de payer. Vous connaissez ces Spartiates, pour un oui pour un
non, ils déclenchent une guerre...
SIMMIAS. - Notre plus grand philosophe serait-il un lâche ?
ALLEN. Je ne suis pas un lâche, et je ne suis pas un héros. je me situe quelque part entre les deux.
SIMMIAS. - une vermine rampante !
ALLEN. Appelez ça comme vous voulez.
AGATHON. C'est bien vous qui avez prouvé que la mort n'existe pas !
ALLEN. Hé, écoutez. J'ai prouvé tout un tas de choses. C'est comme ça que je paie mon loyer. Des théories et de petites obsentations. Une remarque malicieuse de temps en temps. Quelques maximes occasionnelles. C'est mieux que de peigner la girafe, mais ça ne va pas très loin.
AGATHON. - Mais vous avez prouvé plusieurs fois que l'âme est immortelle !
ALLEN. -Et elle l'est! Sur le papier, tout au moins. Vous voyez, c'est ça l'ennui avec la philosophie : elle n'est pas tellement fonctionnelle une fois qu'on est sorti de l'école.
SIMMIAS. - Et le concept d'éternité ? Vous avez dit que chaque chose a toujours existé, et existera toujours.
ALLEN. - Je faisais allusion aux objets massifs. Une statue ou quelque chose comme ça. Pour les gens, c'est très différent.
AGATHON. - Mais tous ces discours sur la mort semblable au sommeil ?
ALLEN. - Oui, oui, mais la différence est que, quand vous êtes mort et que quelqu'un crie « debout là-dedans, c'est l'heure de se lever », c'est difficile d'enfiler ses pantoufles.

(Le bourreau arrive, portant une coupe de ciguë. II ressemble étrangement au comique irlandais Spike Milligan.)

LE BOURREAU. - Ah ! Nous y voilà. Le poison, c'est pour qui ?
AGATHON. (me désignant). - Pour monsieur.
ALLEN. - Bon sang, elle est grande, cette coupe. C'est normal que ça fume comme ça ?
LE BOURREAU. - Ouais. Et buvez bien tout. parce que souvent, le poison reste dans le fond.
ALLEN. (C'est généralement à partir d'ici que mon comportement diffère de celui de Socrate, et qu'on me dit que je crie en dormant.). - Non ! Je n'en veux pas ! Je ne veux pas mourir ! A l'aide ! Non, je vous en supplie !

 

 

Parménide

 

BIBLIO