Une brève histoire de l'âme du point de vue occidental.   

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
  Un jour, lors d'une promenade en compagnie d'un vieux moine trappiste, dans les champs entourant son monastère, celui-ci fut agréablement surpris par ce qu'il aperçut à quelques pas de nous: c'était un tronçon de bois coupé à la scie sur les deux extrémités et duquel s'élançaient de jeunes pousses dont les bourgeons témoignaient de leur vigueur.  
- Regarde, c'est vivant! s'exclama-t-il.  
Et moi d'enchaîner:
- anima!  
- Oui, approuva-t-il, la vie .  
- L'âme, précisai-je, m'aventurant sur un terrain délicat, habitué à son caractère susceptible. Mais à mon étonnement, il ne montra aucun signe de désagrément. Au contraire, il renchérit: 
- psyché, les Grecs l'appellent psyché.  
- Mais pourquoi maintenez-vous alors que les plantes ou les animaux n'ont pas d'âme à proprement parler?  

Il s'abstint de me répondre. Ce n'est qu'un peu plus tard qu'il dit:  
- Que cherches-tu vraiment à exprimer par ce mot: âme? Avant de donner une explication, il est nécessaire de s'entendre sur sa signification.  
Et il se mit à rire.  
- Sais-tu que "animal" vient d'anima? Animal et âme se partage le même mot en latin.  
Il rit à nouveau de bon cœur, comme un enfant qui connaîtrait un secret mais ferait marcher son ami.  
- Que sais-tu à propos de l'âme? Est-ce qu'un pendule a besoin d'une âme pour fonctionner? C'est la même chose pour cet arbre; Dieu le garde en vie à la façon d'une machine.  
" - Mais une machine n'a pas de vie? objectai-je. 
- Ne dit-on pas : "quelle est la durée de vie de cet appareil?" Un arbre ne pense pas mon garçon; pour la bonne raison qu'il n'a pas d'âme.  
Il termina sa phrase au moment où nous arrivâmes à destination: le lieu bourdonnaient d'abeilles; nous nous apprêtions à collecter le miel des ruches; il devenait crucial de garder le silence.  

En travaillant, je pensais à la signification du mot âme. Sa genèse frise la science-fiction. Son association étroite avec ce qu'on appelle communément la mythologie, l'a doté d'une connotation ringarde. N'étant plus à l'aise avec le mot, on lui préfère à présent des substitues tels que esprit, souffle, force vitale, moi idéal, etc. Il est impossible toutefois d'ignorer complètement sa raison d'être, puisque cela entraînerait des difficultés majeures reliées à l'idée d'immortalité, d'autre monde, de moralité ou de Dieu, des concepts pratiquement innés à une grande partie de l'humanité. Le problème de l'âme, c'est qu'elle n'est pas une chose que l'on peut saisir avec l'intelligence pour l'analyser. Sa réalité est des plus mystérieuse. Pour la définir, cependant - en dehors du contexte hindou - l'intelligence fut le moyen de prédilection. A l'origine il n'existait pas d'Écritures révélées, comprenant cette information en détail. Rien de comparable à la Bhagavad-gita par exemple où un chapitre lui est consacré. 

Dans le judaïsme, Moïse demeura silencieux sur ce point. Il l'a été à tel point que les Sadducéens rejetèrent l'idée d'une éternité pour l'âme. Leurs opposants, les Pharisiens, professèrent la résurrection des corps. Des mots comme nefech ou rouah, utilisés généralement pour désigner l'âme, sont rarement employés dans la Bible en référence à une entité désincarnée ou spirituelle, distincte du corps. Chez les juifs, leur sens de l'éternité visait avant tout le corps. C'est seulement plus tard, sous l'influence des Grecs peut-être, qu'ils rédigèrent des textes où il est question d'une âme source de vie pour le corps. Et encore beaucoup plus tard, sous cette même impulsion philosophique, cette fois stimulée par les Arabes, la Kabbale, qui émergea après le premier millénaire, développa l'ontologie de l'âme jusqu'à en parler en termes de réincarnation! Il est vrai que l'enseignement ressort de l'ésotérisme et que les sources ne sont pas identifiables textuellement. Des influences grecques ou hindoues sont néanmoins visibles. De nos jours, les juifs modernes ne croient plus à la résurrection des cadavres, mais privilègie la croyance en une âme immortelle. 

Les Égyptiens, une civilisation avancée, croyaient aussi en l'âme; certains de nos contemporains prétendent même qu'ils croyaient en la réincarnation. Si tel fut le cas, il est difficile de trouver dans leurs textes des indications précises sur leur conception de l'âme et sur l'origine de cette connaissance. Il faut souligner que pour les différentes civilisations qui entouraient ce royaume, la religion était un syncrétisme. Les érudits spéculent que les Egyptiens auraient également puisé certaines de leurs idées religieuses dans le corpus spirituel des Zoroastriens, des Perses qui croyaient à la résurrection des corps, tout comme les Juifs et les Sumériens. Dans cette partie du monde, on pensait l'être humain d'une pièce, faisant fi de la distinction pointue entre l'âme et le corps. 

Zoroastre, plus communément connu sous le nom de Zarathoustra, devint plus tard le prophète des Mazdéens. Ces derniers cultivaient une compréhension différente de leurs voisins: l'âme pouvait tomber en enfer mais pas pour l'éternité; à un moment ou l'autre, elle atteint le Paradis grâce au processus de la réincarnation. Mais Zoroastre réforma cette religion antique. Il transforma par exemple les dieux en asuras, des démons, à l'exception d'un seul, qui devint un suprême Mâle. On pourrait affirmer sans faire trop de vagues, que le Dieu des Juifs, des Chrétiens et des Musulmans, était iranien à l'origine. Il faut ajouter une précision sur la particularité de l'ancien mazdéisme: sa fondation reposait sur la culture védique. 

Sur l'autre côté de la Méditerranée, les Grecs débattaient sérieusement la question de l'âme. Socrate mourut en absorbant du poison, convaincu que son âme n'en serait pas affectée. Son disciple, Platon, promulgua cette idée qui influença le monde entier. Pour la première fois en Occident, une philosophie sur l'âme de qualité éternelle était acceptée à grande échelle. Platon professa aussi le végétarisme et la réincarnation.
 
Son distingué disciple, Aristote, se détourna par la suite la plupart de ses enseignements. Il n'accepta pas les fameuses Formes ou Idées si chères à son maître (c.-à-d. que tout en ce bas monde possède son archétype originel et spirituel dans l'au-delà. ) Aristote rejeta aussi la notion de la dualité entre le corps et l'âme, et avec l'eau du bain, la réincarnation. Pour lui, l'âme appartient intimement au corps " vivant " et ne peut absolument pas être envisagée existant séparément. La façon dont il exploite le langage est prodigieux. Animal et anima sont un même mot ; du coup évolution biologique et évolution de l'âme sont une et même expérience. En plus d'être le père de la linguistique, il fut un grand naturiste et pour ainsi dire le premier darwiniste.
 
Mais à qui se rallier: Aristote ou Platon? Toute la tradition chrétienne sera tiraillée par ces deux pôles d'intérêt. A cela près que le végétarisme et la réincarnation furent radicalement éliminés.

Et les anciens Grecs, avant Socrate, comme les Argonautes, Ulysse et tutti quanti, croyaient-ils à l'âme? Pas à une âme divine de toute évidence. Pour eux, l'être humain mourrait et se rendait au royaume des morts. Là, il vivait comme une ombre. Sumériens et Babyloniens partageaient aussi cette croyance. Il n'existait point de paradis pour les pieux. Un humain ne pouvait absolument pas devenir un dieu ni vivre en leur compagnie. Les corollaires sophistiqués de l'âme, réincarnation et végétarisme, ne furent promus que plus tard par un courrant spirituel du nom d'Orphisme. C'est à cette tradition que Pythagore appartenait. Il est en Occident, à mémoire d'homme, celui qui a pavé la voie à l'évolution de la notion d'âme. Il acquit un réputation si préstigieuse et dérangea tant le statu quo que ses opposants brûlèrent son école et tuèrent ses disciples. On fait souvent remonter la source de son savoir en Inde.

En remontant vers le Nord, Germains, Scandinaves, Gaulois, pratiquement l'Europe entière fut plus ou moins sous l'influence celtique. Le rôle que joua ce peuple dans cete partie du monde fut similaire à celle qu'exerça les Zoroastriens sur la population du Moyen-orient. Les Celtes croyaient en la réincarnation. Leurs ancêtres vivaient en un lieu géographique proche de l'Inde, et leur culture religieuse était riche d'éléments védiques. Les érudits les appellent des Aryens. Qu'ils aient eu des rapports étroits avec les Mazdéens ne fait aucun doute.

A entreprendre une étude objective sur l'origine métaphisyque ou le développement intellectuels des notions de l'âme, notre travail nous porte irrémédiablement vers les Upanishads, la Bhagavad-gita et les Puranas. On y retrouvent des informations en abondance. On notera que ces Ecritures ne font jamais allusion à des sources de connaissances étrangères d'aucune sorte. Les Védas se sont manifestés en Indes, ils sont un produit d'origine purement hindou, tout y est en relation étroite avec la terre, les rivières ou les montagnes. Ainsi l'étymologie des mots est enracinée dans le sol de la péninsule.

Ceci dit, le prochain débat significatif advint au XVème siècle avec Descartes. Il affirma que l'âme et le corps sont deux choses différentes. Et oui, de nouveau! L'éternel argumentation. Que l'âme soit immortelle et distincte du corps a peau dure. Cependant, si tel est le cas, ainsi que l'allègait le renommé scientifique, comment l'âme dans le corps agit-elle sur lui et comment le corps peut-il faire souffrir l'âme? Descartes essaya vainement de convaincre ses pairs de sa théorie, mais il se heurta à un mur de scepticisme. L'Eglise lui préféra la version de Saint-Thomas et de son maître païen, Aristote. Le fait qu'il ne faut pas se cacher, est qu'il n'y a pas d'explication purement rationnelle de l'âme ni de son interaction avec le corps. Les tentatives spéculatives du philosophe, particulièrement vues de notre fin siècle, bien que fort louables, sont empreintes de naïveté, surtout lorsqu'il attribue à la glande pinéale la fonction de trait d'union entre l'âme et le corps.

Le problème c'est que depuis Aristote, la tendance est à la démonstration pratique. Fini les mythes. Dieux et légendes appartiennent à un temps révolu. La pensée rationnelle et scientifique prenait le pas sur la philosophie et la méthaphisique. De toute façon, en ce qui nous concerne, les spéculations de Descartes ne nous apprenaient rien de nouveau. Il puisait dans sa croyance religieuse qui étaient un mixte de platonisme et de christianisme. Il en conclut que seuls les humains ont une âme, les animaux étant des sortes de machines biologiques sophistiquées! Mais il ne s'arrêta pas là: singulièrement, même un corps humain peut fonctionner sans âme, de façon mécanique. L'âme permet seulement la faculté de penser.

Par la suite, Pascal, un fervent catholique, attaqua avec virulence la théorie de Descartes. Il réunnit l'âme et le corps en une seule et même substance. Des mystiques comme Thérèse d'Avila, entre autres, aurait pu trancher sur cette enigme, malheureusement elle n'en fit rien, ou si peu. Ses descriptions demeurent subjectives et personnelles. Bien que docteur de l'Eglise, elle ne nous exliquera pas pourquoi les animaux n'ont pas d'âme, ni ce qu'est l'âme? Elle garde beaucoup de respect pour ses prédécesseurs qui ont établi la doctrine en ce point. En outre, déjà sur la sellette par l'Inquisition à cause de ses expériences spirituelles mystiques, il ne faut pas s'attendre à des révélations non-conformistes.

Une autre personnalité sainte des plus notoires fut François d'Assise. D'aucuns avancent qu'il aurait attribué une âme aux animaux et qu'il aurait été végétarien. Si cela fut le cas, il ne l'a jamais signifié en terme clair et aucune doctrine n'emmergea de cette prise de position. De plus, il adresse dans sa prière ? autre que les animaux les choses qu'il aime à personnifier … ce qui rend sa pensée sur le sujet incertaine. Pour ce qui est du végétarisme, le fait de manger maigre ou de s'abstenir de viande n'est pas une indication d'un respect pour l'âme des animaux. De nombreuses congrégations se plièrent à une règle proche du végétarisme pour des raisons d'austérité, c'est tout, à des exceptions prêt.

Nous n'avons délibéremment pas mentionné les musulmans vu qu'ils n'ont pas développé un système de pensée catégoriquement différent de celle de la tradition juive. Il ont même jusqu'à un certain point souligné le caractère fondamental de la révélation originale. Le Coran ne s'exprime pas sur la question de l'âme. Dans le cas du soufisme, cependant, nous sommes confronté aux problèmes similaires à celui de la Kabale: en bref, nous y retrouvons une influence hindoue. Rien d'anormal quand on sait que les Arabes ont envahi l'Inde depuis plusieurs siècles et que là-bas, dans un milieu plus approprié, le soufisme battait son plein. Mais sur l'âme non plus, pas grand chose, si ce n'est que la tendance est au monisme ; s'il y a une âme elle s'unira à Dieu pour ne faire qu'Un avec Elle. Donc pas d'âme distincte éternelle. Mais une âme tout de même, puisque le soufisme apparaît à une période on a déjà fait le tour de la question. Il ne s'agit que de prendre son parti.

En définitif, l'âme n'est pas un objet phénoménal. Pour trouver des réponses à son sujet nous n'avons d'autres choix que nous référer aux Écritures révélées, ou en théorie à Dieu s'Il nous en accorde la réalisation, puisque cela c'est produit ainsi dans le passé.

De retour au monastère, le vieux moine me raconta cette anecdote:
- Un ouvrier vint à passer devant une morgue où il assista à la dissection d'un cadavre. Quand le professeur indiqua sous forme de blague à ses étudiants que jusque là il n'a jamais trouvé d'âme, l'ouvrier incrédule protesta: " Excusez-moi, Monsieur, mais si vous n'avez pas pu la voir, c'est qu'elle n'y était plus.
Et il se mit à rire.
- N'est-ce pas une question de foi, après tout? continua-t-il.
- Bien sûr, mais l'intelligence a bien son rôle à jouer, non ?
- Avec Pythagore, la doctrine de l'immortalité de l'âme reposait sur une signification simple et claire. Elle était divine à l'origine, et elle l'est et le sera donc dans le futur. Selon la perspective hébraique, les choses sont plus complexes. D'abord l'âme n'est pas divine pas constitution, elle ne le devient que par la grâce. Le concept occidental, notemment que le corps et l'âme sont une seule et même chose, ainsi formulé par Aristote, est très difficile à saisir; le dualisme l'est mieux à première vue. Néanmoins, conclut le vieux moine, l'âme étant invisible et transcendantale, on peut jaser ainsi sans fin.
C'est ce que dit Krishna dans la Bhagavad-gita, pensai-je.
« Certains voient l'âme, et c'est pour eux une étonnante merveille; ainsi également d'autres en parlent-ils et d'autres encore en entendent-ils parler. Il en est cependant qui, même après en avoir entendu parler, ne peuvent la concevoir. » 
 

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