Avant-propos
( Ce texte a servi pour la présentation du livre intitulé Krishna-Chaitanya ) 

 
 
 
 
 
 
 
    Lorsque mon intérêt pour la culture de l'Inde s'éveilla pour la première fois, je lus Ramakrishna, Aurobindo, Krishnamurti, ainsi que des spécialistes occidentaux. En me rendant dans ce pays, en 1977, je m'aperçus que ces philosophes ne présentaient, en général, qu'un aspect de la teneur spirituelle des Vedas, celui qu'ils prisaient, sans doute, soit le concept impersonnel de la Vérité absolue qui pourrait grosso modo se résumer à ceci : la perfection est Une ; il faut réprimer l'ego afin de le fondre dans l'Unité infinie. Je réalisai aussi qu'il existait une forte tradition monothéiste presque occultée par nos indianistes et théologiens, et ceci jusqu'à nos jours, une tradition riche en rituels et en savoir. L'exemple suivant, tiré du beau livre de Dominique Lapierre, La cité de la joie, témoigne de cette obnubilation. Le père Lambert, qui a vécu longtemps parmi le peuple hindou et qui est le héros du livre, déclare en toute bonne foi : 
    Le judaïsme a apporté au monde cette notion extraordinaire d'un Dieu Un et Universel. Une notion qui ne peut être que le fruit d'une révélation. Malgré sa puissance intuitive et mystique, l'hindouisme n'a jamais pu entrevoir un Dieu personnel. ( P. 366 ) 
    Il faut reconnaître qu'en Inde — 850 millions d'habitants — les "théistes purs" ne foisonnent pas. Malgré l'injonction de la Bhagavad-gita où Dieu (Bhagavan, en sanskrit) dit : "Laisse-là toute autre forme de religion matérielle ou païenne et abandonne-toi à Moi...", la majorité est absorbée dans l'adoration des demi-dieux, ces "ministres" de Dieu qui régissent les lois de l'univers et comblent nos prières, même si elles sont intéressées et purement matérielles, ce qui n'est pas toujours le cas avec Dieu. 
   
J'eus la chance de traverser assez vite ce dédale inextricable de croyances, en comprenant l'unité et la supériorité de Vishnu Rama ou Krishna – trois Noms qui désignent un même Dieu –, sur Shiva, Brahma, Indra, entre autres "ministres", et sur l'être humain bien entendu, – car certains parmi eux aiment à se proclamer Dieu. Bref, je suis tombé amoureux de Krishna, et plus tard de Sri Chaitanya.
 
   
Durant l'hiver 1992, ma femme et moi sommes allés vivre au Bengale, province de prédilection du fait de sa luxuriante végétation et de la beauté du Gange et de ses rives qui captivent l'esprit en quête de transcendance. En hiver, le climat tempéré nous convenait on ne peut mieux. Nous nous sommes installés à Nadia, dans une résidence sous les bananiers et les dattiers, et avons consacré notre temps à étudier, méditer et écrire.
 
    Nadia était un endroit édénique, dans un hameau hospitalier, à proximité du fleuve sacré. Notre demeure n'était en fait qu'une hutte (pour voir une image) de chaume et de pisé et nous cuisinions nos repas à la manière traditionnelle des villageois. Ils étaient émerveillés de voir des Occidentaux se baigner, manger, dormir et prier comme eux, étonnés que je puisse citer en sanskrit de nombreux passages de leurs Ecritures. Et c'est certainement à cause de cela qu'un petit groupe d'indigènes, religieux, sages et sympathiques, qui se réunissait certains soirs, nous invita à se joindre à lui. On pouvait d'un coup d'œil faire le tour de l'unique pièce de leur hutte, éclairée par des lampes au kérosène. On s'installait tous sur une plate-forme en bois, recouverte d'une courtepointe, qui servait de lit à toute la famille la nuit venue. Pendant que nous chantions, accompagnés d'instruments de musique, et que nous discutions des Ecritures, la maîtresse de maison s'affairait à quelque tâche, assise à même le sol, tout en écoutant. De temps à autre, elle posait une question ou communiquait ses réflexions. Une petite fille de onze ans faisait ses devoirs, allongée sur le ventre, au milieu des anciens. Par moment, elle levait sur nous ses yeux ronds qui brillaient à la lueur de la lanterne, intriguée par des paroles qu'on avait prononcées, ou alors riait toute seule, d'un rire d'enfant, bref et innocent. Avant de se quitter, l'hôtesse servait un dessert, sorte de rituel, qui, bien que frugal, avait une saveur exquise et devait réconforter l'âme. 
    Ma femme et moi avons une prédisposition à cette pauvreté, qui est au vrai une forme de simplicité et un luxe que peuvent se permettre, entre autres, ceux qui, par le yoga, savent se prémunir contre les contingences de l'existence et prennent plaisir à méditer sur les divertissements de Krishna-Chaitanya. 
    Bien que je connusse Krishna-Chaitanya au-delà d'un savoir livresque, je fus impressionné par l'emprise qu'il exerçait sur la vie de ces villageois et je perçus la différence entre mon approche et la leur : eux, ils l'aimaient, pénétrés de son charme, de sa vision, de ses désirs ; tandis que moi je l'étudiais, je l'appréciais ; tout au plus, je le vénérais. 
   
Cette expérience devait s'avérer cruciale par la suite, car toute ma recherche spirituelle sera marquée par l'empreinte de cette tradition : une tradition exceptionnelle tant par ses enseignements spirituels exhaustifs et ses pratiques attrayantes, que par les glorieux maîtres qui l'établirent.
 
   
Sri Chaitanya est une personnalité unique, de la stature de Jésus Christ, Bouddha ou Krishna, mais beaucoup plus complexe. Selon les réalisations de chacun, il est un saint, un mystique illuminé, un réformateur religieux, un avatar, ou même Dieu incarné. Cet ouvrage est directement inspiré de la vision que ses disciples avaient de lui. Parmi eux, certains sont devenus célèbres pour leur contribution littéraire abondante et leur génie sur le plan spirituel. Jiva Goswami, par exemple, s'est particulièrement distingué en ce domaine et l'Université de Bénarès l'honore, encore aujourd'hui, en mettant un département entier à l'étude de son œuvre. On commence à peine, en Occident, à reconnaître la valeur inestimable des écrits de ces grandes âmes.
 
    Mon intention est donc de présenter au public cette personnalité historique restée mystérieusement dans l'ombre. — Il faut dire que l'Inde, depuis l'Antiquité jusqu'à nos jours, n'a cessé de nous étonner par ses ambiguïtés et son ésotérisme —. Pourtant, me direz-vous, la renommée n'est-elle pas de nature à se propager d'elle-même ? Bouddha, par exemple, n'a suscité aucune guerre pour Se faire connaître de par le monde. Non, mais Il a eu des admirateurs. J'en suis un : de Shri Chaitanya. 
    En vérité, les Vedas sont avares de détails quant à l'avènement de Krishna-Chaitanya, bien qu'il soit considéré par le Bhagavata Purana, l'un des plus importants Ecrits védiques, comme l'incarnation même de la dévotion : " Dans l'âge de Kali, le Seigneur apparaîtra sous les traits d'un dévot ; il aura  le teint doré et chantera constamment les saints Noms. Il prêchera, par son  Mouvement de sankirtana1, l'amour de Dieu, et les êtres d'intelligence adopteront ce procédé de réalisation spirituelle qu'est le chant en groupe des saints Noms." 
    Parmi les quatre biographies principales de Krishna Chaitanya, deux se distinguent, d'abord par les faits rapportés et leurs qualités littéraires et aussi par la respectable notoriété de leur auteur : le Chaitanya-bhagavata de Vrindavane Das Thakur et le Chaitanya-charitamrita de Krishna Das Kaviraj ; ce dernier a été traduit du Bengali en anglais et commenté par mon regretté maître spirituel, Bhaktivedanta 
Swami Prabhupada. 
    Ma plus grande faute dans la rédaction de cette biographie est de ne pas avoir suivi l'exemple de Krishna Das Kaviraj. Forcé d'écrire sur le tard, parce qu'il était vu comme le plus compétent de ses coreligionnaires, il se considérait indigne de rédiger une telle littérature et invoquait, à chaque chapitre, leur miséricorde. De plus, il était presque aveugle. 
    Je prends ces précautions de langage parce que je ne me suis pas borné à traduire l'œuvre magistrale et inspirée de mon maître mais j'ai utilisé le procédé de la narration, veillant toutefois à m'en tenir strictement aux données de sources littéraires authentiques. Pour ceux qui chercheraient à connaître la vie et les enseignements de Krishna-Chaitanya dans toute leur intensité consacrée, je leur conseille de se référer à  l'original, un volumineux ouvrage de 6000 pages. 
    Un des problèmes majeurs de la transcription d'une œuvre historique, et  par surcroît religieuse, en un récit, une pièce de théâtre ou un film demeure toujours la fidèlité de sa reproduction. On devine sans mal le danger qu'il y  a à interpréter, soit pour séduire, soit pour mieux communiquer, il va sans  dire que l'œuvre originale en souffrira. Pour ma part, je suis conscient que, dès le moment où les récits tirés des saintes Ecritures s'écartent le moins du  monde de la vérité historique, ils perdent leur grandeur et même leur aspect  véritable. Pour comprendre et reproduire les sublimes figures des saints, ne  faudrait-il pas — à l'instar de Fra Angélo qui peignait les madones à genoux — envisager  l'art comme un sacerdoce, comme un acte de culte. 
    Je voudrais aussi souligner que ce livre n'est pas une tentative littéraire comme  l'exige le crédo de l'écriture. Pour toute justification, j'aimerais citer cet avertissement de mon maître, que l'on retrouve dans l'un de ses ouvrages, le Srimad Bhagavatam : 
    [...] nous sommes assurés que, malgré toutes ces  imperfections (de ses écrits), les dirigeants de la société considéreront avant tout le sérieux  du sujet et accepteront tout de même le message ici présenté, car il s'agit  d'une tentative honnête pour glorifier le Seigneur tout-puissant. [...] Nous sommes, par suite, assurés que tous les hommes réserveront au Shrimad Bhagavatam l'accueil qui lui convient, même si la présentation que nous  faisons de ce merveilleux Ecrit comporte nombre de défauts.
    Sous la plume de Bhaktivedanta Swami, il nous est dorénavant possible, en Occident, par le biais d'une filiation d'écrivains réalisés le précédant, de connaître la vie de Krishna-Chaitanya. 
    Il faut le dire : le Chaitanya-charitamrita provoque des réticences chez les libraires qui ne le trouvent pas assez commercial à cause de son format (17 volumes) et de sa présentation érudite : devanâgari et translittération phonétique pour chaque verset. Le lecteur aimerait peut-être mieux lire d'un trait cette vie passionnante. « Tant pis pour l'exercice académique, le rituel ou le gain spirituel », pensera-t-il. Les biographes n'affirment-ils pas justement que cette sainte personnalité est venue en ce monde pour sauver le genre humain ? à fortiori, les plus démunis. 
    J'essaye donc de rejoindre le public par cette forme d'écrit plus accessible. 
    Et puis comment résister à l'envie de partager ce que j'ai appris sur Krishna-Chaitanya. N'est-il pas du devoir du lecteur, de l'étudiant, d'approcher les textes spirituels dans un esprit créatif ? En vérité, le lecteur sincère qui se laisse envoûter par cette littérature spirituelle réalise qu'il doit, comme un satellite, refléter la lumière qui le pénétre en lisant . 
    Non seulement, vous allez, pour la plupart d'entre vous, entrer dans une civilisation, une tradition, une culture étrangère, d'une autre époque, mais vous allez aussi le faire sans y être préparé, sans guide. Tant pis ! L'Inde est facile d'accès, elle se veut tolérante. Mais pour profiter pleinement de ce récit, évitons l'erreur de transposer le passé, avec ses croyances fabuleuses, par le filtre d'un réalisme contemporain guindé. On se tromperait nécessairement. Il faut plutôt s'ouvrir à cette dimension spirituelle, démonter la barrière des préjugés et la grille des idées préconçues et se laisser emporter par le courant éternel de l'Amour universel. On en reviendra rafraîchi. La spiritualité des Vedas est pareille au soleil : elle brille pour tous, peu importe nos origines, notre race ou notre religion. Il faut essayer de l'accepter telle qu'elle est sans trop vouloir l'adapter à notre esprit étroit, car elle en prendrait malheureusement le contour1 . Et si nous savons être aussi réceptif qu'objectif, au lieu de butter comme des abeilles contre un pot de miel fermé, nous pourrons alors profiter des enseignements et des activités de Krishna-Chaitanya en plongeant dans un océan de connaissance et de félicité.
 
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