Il devait faire particulièrement gris, ce jour-là. C'était un dimanche de décembre, je m'en souviens, et nous sortions du cinéma. Un film plein de soleil et d'aventures. Dehors, il pleuvait et la rue était noirâtre, comme le ciel, comme les murs, comme tout.

Nain-Bus et son équipage à Ispahan

C'était aussi la veille d'un lundi comme les autres, un lundi où je courrais pour avoir mon train, puis le métro. Dans l'ascenseur, ma voisine me repondrait: - Bof! Comme un lundi! Ça ira mieux vendredi! Je passerais la journée dans un monde d'homme efficace, sans enfance ni vieillesse. Le soir, quand je rentrerais à la maison, je voudrais jouer avec les enfants, pour les voir vivre, les entendre rire. Mais il y aurait les devoirs, puis le coucher, à cause du lendemain. Caroline avait déjà... Quand je pense maintenant qu'elle n'avait que neuf ans, ou quelque chose comme cela... En fait, je n'ai jamais vraiment su leur âge : il changeait si souvent! Bertrand devait en avoir... un de moins. Isabelle et Éric, entre quatre et cinq ans.

Nous étions encore tout éblouis par ces images de soleil et marchions bras dessus bras dessous, vers la vieille R 16 qu'il fallait pousser pour démarrer. Ce que j'ai dit exactement, je ne m'en souviens pas. J'ai dû lancer une phrase du genre :
- Et si nous partions faire le tour du monde en chantant ?...
Les enfants ont tout de suite crié:
- Oh oui! comme pour jouer.
Marie-France aurait du rire, faire allusion à notre compte en banque: « Pourquoi pas? Le jour ou tu gagneras à la loterie ! »
Elle ne l'a pas dit. Elle s'est tournee vers moi, plantant ses grands yeux dans les miens, mi-incrédule, mi-interrogative:
- Tu parles sérieusement ?
J'ai senti un peu d'émotion dans sa voix. Je ne m'attendais pas à ça. J'avais lancé un joli ballon de couleur dans le ciel, comme pour le voir éclater. Et il n'éclatait pas. J'aurais dû m'en douter.
- Chiche!
Merveilleuse Marie-France! J'aime en toi cette fraicheur, cette possibilité de marcher dans tout avec un enthousiasme d'enfant !
Elle s'était retrouvée dans mes bras, tête contre épaule. C'est sa manière, quand elle a trop à dire, ou qu'elle veut cacher une larme.
Les enfants avaient compris que nous ne blaguions plus. Et ça avait été du délire. Pendant le retour en voiture, on ne s'entendait plus. Ils criaient tous a la fois.
- C'est quand qu'on part?
- On ne dit pas « c'est quand qu'on » !!
- Est-ce qu'il y aura des sauvages ? - On n'ira plus à l'école!
- C'est toi qui seras notre maîtresse?<
Nous échafaudions déjà toutes sortes d'aventures, riant de notre ignorance en géographie. Bertrand voulait que nous fassions notre tour du monde à dos de chameau, Isabelle, en ballon. Marie-France, plus terre à terre, préférait un camping-car. Nous étions tous très excités et le trajet s'etait terminé par un de nos chants-gueulantes dont nous avions le secret.