Saint-Pétersbourg, 182.

 

« La dame de pique signifie secrète malveillance. »
Le Cartomancien moderne.

 

Il reparut le lendemain à l'heure accoutumée. Tout le monde l'attendait; les généraux et les conseillers privés avaient laissé leur whist pour assister à un jeu si extraordinaire. Les jeunes officiers avaient quitté les divans, tous les gens de la maison se pressaient dans la salle. Tous entouraient Hermann. À son entrée, les autres joueurs cessèrent de ponter dans leur impatience de le voir aux prises avec le banquier, qui pâle, mais toujours souriant, le regardait s'approcher de la table et se disposer à jouer seul contre lui. Chacun d'eux défit à la fois un paquet de cartes. Tchekalinski mêla et Hermann coupa; puis il prit une carte et la couvrit d'un monceau de billets de banque. On eût dit les apprêts d'un duel. Un profond silence régnait dans la salle. Tchekalinski commença à tailler; ses mains tremblaient. À droite, on vit sortir une dame; à gauche un as.
- L'as gagne, dit Hermann, et il découvvrit sa carte.
- Votre dame a perdu, dit Tchekalinski d'un ton de voix mielleux.
Hermann tressaillit. Au lieu d'un as, il avait devant lui une dame de pique. Il n'en pouvait croire ses
yeux, et ne comprenait pas comment il avait pu se méprendre de la sorte.
À ce moment, il lui sembla voir la dame de pique cligner de l'oeil et sourire. Une ressemblance extraordinaire le frappa...
- La vieille s'écria-t-il épouvanté. Tchekalinski, d'un coup de râteau, ramassa tout son gain. Hermann demeura longtemps immobile, anéanti. Quand enfin il quitta la table de jeu, il y eut un moment de causerie bruyante. Un fameux
ponte! disaient les joueurs. Tchekalinski mêla les cartes, et le jeu continua.

 

 

BIBLIO