- Eh Hippolyte! viens voir quéque chose,s'écria le marin.
Hippolyte accourut.
- R'garde ça, et le marin lui désigna une auto grand sport qui passait avec precaution un redoutable caniveau.
- C'est l' type d' la bicoque inachevée, remarqua Yves Le Toltec.
- I n' s'en fait pas, remarqua Hippolyte Azur.
- C'est une bagnole qui doit valoir cher, remarqua le marin.
- Le v'là arrêté d'vant chez lui, remarqua le mastroquet.
- I descend tout seul.
- L'aut' n' veut pas descendre.
- I s'en font des politesses.
- I doit lui dire de v'nir dîner chez lui.
- Comment que lui qu' est un p'tit employé d' banque i peut connaitre un i type aussi rupin?
- C'est p'têtre un parent.
- I n' se ressemblent pas beaucoup.
- Qu'est-ce qu'i peuvent trafiquer ensemble?
- Tiens, le v'là qui s' retourne.
- C'est sa femme qu' a dit l'appeler.
- Tiens, la v'là qu' accourt.
- Oh, dis donc, elle a l'air de chialer.
- Ah bien, ah bien, i doit s' passer quéque chose de pas ordinaire.
- E lui tend un papier.
- I l' prend.
- E chiale.
- I l' lit
- I l' relit.
- Elle est appuyée contre la grille.
- C'est une belle poule, hein?
- P'têt que l' rupin i veut la lui soul'ver.
- Ah ah ah ah!
- I parle à sa femme.
- I lui désigne l' rupin.
- L' rupin la salue.
- T' as vu cette grâce pour soul'ver l' cul ded'sus son siège?
- Ah ah ah!
- ça c'est rigolo, i lui montre la lettre.
- L'aut' la lit.
- Faut qu'i soient copains.
- C'est quelle marque c't' auto-là?
- C'est une Bujatti.
- Penses-tu, pas avec un capot comme ça.
- Tu t'y connais p'têt' mieux qu' moi?
- Sûr! C'est pas sur ton bateau-lavoir qu' t' as appris à t'y connaître en automobile.
- Et toi? C'est pas sur ta bicyclette.
- Sûr que j'en sais plus qu'un amiral suisse.
- C'est moi que je suis un amiral suisse?
- T' es même pas amiral.
- Répète-le que j' suis un amiral suisse?
- Je l' répéterai si ça m' plait.
- Fais attention que ça n' te plaise pas.
- Oh mais ils vont se battre, s'écria Alberte.
- Pensez-vous, dit Pierre, les paroles leur suffisent.
- Rentre, Alberte, dit Etienne.
- Les voilà qui s'empoignent, dit Pierre.
- Ils en sont quand même venus aux
mains.
- Ils doivent être d'égale force.
- L'un et l'autre semblent redoutables.
- Ils sont tombés à terre.
- Ils se cognent la tête.
- Ils se tordent les bras.
- Ils se mordent les
yeux.
- Ils se déchaussent les dents.
- Ils se frottent les oreilles.
- Ils s'écrasent les doigts de pied.
- Ils se saignent le
nez.
- Ils se heurtent les tibias.
- Ils se noircissent les paupières.
- Ils se tapent sur le ventre.
- Ils s'arrachent les cheveux.
- Ils se cassent les reins.
- Ils se tirent les joues.
- Ils se retournent les jointures.
- Ils se compriment le larynx.
- Ils se brisent les omoplates.
- Ils se couronnent les genoux.
- Ils s'aplatissent les parties génitales.
- Ils se démettent les articulations.
- Ils se claquent les muscles.
- Ils s'épilent les sourcils.
- Ils se broient le menton.
- Ils se luxent les testicules.
- Ils se démanchent la verge.
- Ils se malaxent les côtes.
- Ils se grignotent les intestins.
- Ils se pilent le foie.
- Ils se sanguinent la face.
- Ils se depiautent.
- Ils se mutilent.
- Ils s'émiettent.
- Affreux combat!
- Horrible conjoncture!
- Le facteur craintif n'ose les separer.
- Le chien de Meussieu Cocotier aboie après eux.
- Mme Sélénium, sur le pas de sa porte, tremble de fraveur.
- Les arbres frissonnent.
- Les oiseaux cessent de chanter.
- Le ciel se couvre.
- Le soleil s'obscurcit.
- La nature se refuse à contempler plus longtemps cette atroce macédoine.
- Rentrons, dit Etienne, en notre demi-villa, discuter du sort de Théo, à nouveau fugitif.
Alberte me conseille de retrouver Narcence et Le Grand m'en dissuade. Que ferai-je?
- Ca d'vait finir comme ça, par des coups, dit le facteur.
- J'ai toujours pensé que ce marin était un individu peu recommandable, dit Meussieu Cocotier.
- Moi, ces spectacles-là, ça me coupe l'appétit, dit Mme Sélénium.
- Alors, c'est-i une Bujatti? interrogea Hippolyte.
- Il dit ça en étranglant doucement son adversaire, remarqua le facteur.
- Non, c'est pas une Bujatti, avoua Yves Le Toltec, mais tu m' dois bien un demi-setier pour
fêter ta victoire.
- Cocorico, cocorico, s'ecria le coq de Meussieu et Mme Exossé.
Dans sa jeunesse, cet animal était tombé sur la tête; depuis lors, il chantait au coucher du soleil, même lorsqu'il y avait l'heure d'été ; il fut rôti, l'année suivante, et sa chair délecta le palais omnivore de ses stupides propriétaires.

 

 

BIBLIO