PANISSE, impatient. Eh bien, quoi? C'est à toi! ESCARTEFIGUE Je le sais bien. Mais j'hésite... CÉSAR, au chauffeur. Hé, l'extra! On frappe! LE CHAUFFEUR Voilà! Voilà! CÉSAR, à Escartefigue. Tu ne vas pas hésiter jusqu'à demain! M. BRUN Allons, capitaine, nous vous attendons!
ESCARTEFIGUE C'est que la chose est importante! (A
César.) Ils ont trente-deux et nous, combien nous avons? CÉSAR Trente. M. BRUN, sarcastique. Nous allons en trente-quatre. PANISSE C'est ce coup-ci que la partie se gagne ou se perd. ESCARTEFIGUE C'est pour ça que je me demande si Panisse coupe a coeur. CÉSAR Si tu avais surveillé le jeu, tu le saurais. PANISSE, outré Eh bien, dis donc, ne vous gêner plus! Montre-lui ton jeu puisque tu y est! CÉSAR Je ne lui montre pas mon jeu. Je ne lui ai donné aucun renseignement. M. BRUN En tout cas, nous jouons à la muette, il est défendu de parler. PANISSE Et si c'était une partie de championnat. tu serais déjà disqualifié. CÉSAR, froid. J'en ai vu souvent des championnats. J'en ai vu plus de dix. Je n'ai jamais vu une figure comme la tienne. PANISSE Toi, tu es perdu. Les injures de ton agonie ne peuvent pas toucher ton vainqueur. CÉSAR Tu es beau. Tu ressembles a la Statue de Victor Gelu. ESCARTEFIGUE, pensif. Oui, et je me demande toujours s'il
coupe a coeur. PANISSE, furieux. Et je te prie de ne pas lui faire de signes. CÉSAR Moi je lui fais des signes? Je bats la mesure. PANISSE Tu ne dois regarder qu'une seule chose : ton jeu. (A Escartefigue.) Et toi aussi. CÉSAR Bon. PANISSE, à Escarcefigue. Si tu continues à faire des grimaces, je fous les cartes en l'air et je rentre chez moi. M. BRUN Ne vous fâchez pas, Panisse. Ils sont cuits. ESCARTEFIGUE Moi, je connais très bien le jeu de la manille et je n'hésiterais pas une seconde si j'avais la certitude que Panisse coupe à coeur. PANISSE Je t'ai déjà dit qu'on ne doit pas parler, même pour dire bonjour à un ami. ESCARTEFIGUE Je ne dis bonjour à personne. Je réfléchis. PANISSE Eh bien! réfléchis en silence... Et ils se font encore des signes! Monsieur Brun, surveillez Escartefigue. Moi, je surveille César. CÉSAR, à Panisse. Tu te rends compte comme c'est humiliant ce que tu fais là? Tu me surveilles comme un tricheur. Réellement, ce n'est pas bien de ta part. Non, ce n'est pas bien. PANISSE, presque érnu. Allons, César, je t'ai fait de la peine? CÉSAR Quand tu me parles sur ce ton, quand tu m'espinches comme si j'étais un scélérat, eh bien, tu me fends le coeur. PANISSE Allons, César... CÉSAR Oui, tu me fends le coeur. Pas vrai, Escartefigue? Il nous fend le coeur. ESCARTEFIGUE, ravi. Très bien! |