L'homme qui me sauva

Une sélection de la digestion du lecteur

 

Je n'allais pas oublier de sitôt cette fameuse journée du 16 juin 1981, ni les protagonistes de l'étrange aventure qui m'arriva ce jour-là.

En descendant prendre ma voiture, je n'avais pas songé à regarder ma montre.

Il devait être dans les 3 heures de l'après-midi et la rue vibrait de mille bruits.

Lorsque j'eus tourné la clé du démarreur, le moteur avait vrombi et rien n'avait mis la puce à mon oreille au sujet de qu'est-ce qui allait m'arriver.

Une curieuse intuition emplit mon esprit cependant, lorsque je vis défiler devant moi la perspective des premières maisons bordurières.

3 heures était une heure fatidique, l'heure où les livreurs de tous poils déchargent leurs marchandises.

Mais l'air était chaud, la ville était calme, et je m'assoupissais d'aise.

Je me souviendrai toujours de l'appréhension qui naquit en moi lorsque je vis au carrefour le gros camion de l'entreprise Kuglhoof.

Je fus une première fois frappé de stupeur : le camion avait la priorité.

Inconditionnellement respectueux des lois, je m'arrêtai.

Sans doute confus de devoir sans cesse utiliser son droit de passage, le conducteur me pria de poursuivre.

Je m'en voudrai encore longtemps de l'absence d'esprit avec laquelle je lui fis remarquer que je violais ainsi une règle élémentaire de priorité.

Quelle ne fut pas ma surprise d'apercevoir à nouveau la silhouette dégingandée du grand escogriffe qui me pressait désespérément de passer.

Je bénis aujourd'hui le pressentiment aveugle qui me fit enclencher la vitesse et démarrer en trombe.

La route faisait une boucle. Je blêmis en voyant la scène : le camion s'était arrêté et bloquait à présent la route, immobilisant les dizaines de voitures suiveuses qui klaxonnaient à tue-tête. Il allait lui falloir plusieurs heures pour décharger la totalité de ses marchandises.

Alors que je m'éloignais, une image emplit ma conscience : à travers la pénombre de la cabine du camion Kuglhoof, m'apparaissait le sourire du conducteur : un sourire complice.

Longtemps encore j'étais resté sous le choc, et je n'avais certes pas oublié l'aventure, mais la rapidité des événements avait laissé au fond de ma gorge un goût amer d'insatisfaction.

Qui était le conducteur mystérieux du camion Kuglhoof, et pourquoi avait-il fait ça ? L'avenir allait m'apporter la réponse.

C'est un jour que je roulais vers le sud sur l'autoroute effervescente. Le soleil était radieux.

Alors que la radio déversait plein tube ses tonnes de notes de musique les unes après les autres, le ciel s'assombrit soudain.

Une grosse masse venait de cacher le soleil sur ma droite.

Je tournai la tête et ... je faillis lâcher mon volant en apercevant le conducteur du camion Kuglhoof qui m'adressait un salut complice.

C'est ainsi que je rendis son salut à l'homme qui quelques années plus tôt, m'avait sauvé la vie.

 

 

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