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akonkka(at)mbnet.fi Anita Konkka
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Anita KonkkaLa constellation du fouRécit ( un fragment) Traduit du finnois Par Catherine FroehlichLa matinée est belle. Le ciel est jaunâtre et le soleil se lève derrière l'autoroute. Mon réveil s'est mis pendant la nuit à l'heure d'une planète inconnue. Il est 53 heures 90 et la radio donne les nouvelles. La population de hases a augmenté et le chômage a diminué. Le réveil avance de dix minutes à la fois. Peut-être donne-t-il l'heure de Mercure. La lumière sur le mur s'intensifie. Sur le tableau, les couleurs commencent à vivre, les glaïeuls jaunes rougeoient un instant. Le soleil est en route vers le sud, la terre tourne autour de ses pôles et les systèmes solaires filent dans l'espace vers des buts inconnus. Il est déjà 74 heures 20. Je me suis réveillée au milieu d'un rêve excitant. J'avais une liaison avec un espion international qui était poursuivi. Il ressemblait à mon ancien chef qui était interviewé hier soir à la télévision. Je ne le rencontrais jamais et à peine savait-il que j'étais sa subordonnée. Il en avait tant qu'il ne pouvait absolument pas se souvenir de tous. On ne le voyait pas sur le lieu de travail, mais il circulait toutes sortes d'histoires à son sujet. Il disait aux informations que prédire l'avenir est un art rarement couronné de succès. Il avait raison. Dans la journée, la radio a diffusé un avis de tempête exceptionnel dans le golfe de Finlande. On disait que les rafales de vent pourraient être dangereusement violentes. Mais la tempête changea d'avis et s'en alla ailleurs. Les arbres se tenaient immobiles dans la cour, le ciel était clair, Jupiter brillait au-dessus des poubelles et la Grande Ourse était visible, pâle, derrière la compagnie d'assurance. J'ai lu dans le journal qu'au Japon les banques ont leurs astrologues particuliers qui prédisent d'après les mouvements de Mercure et d'Uranus les changements de parité entre le dollar et le yen. Moi aussi, j'ai essayé de prévoir, mais je ne sais pas prédire l'avenir. J'ai regardé le passé, et je sais que je suis renvoyée de mon travail quand Pluton éclipse mon soleil et que mes fiançailles sont rompues quand Uranus forme un carré avec ma Vénus. J'ai regardé, la nuque renversée, les étoiles du ciel et je suis allée dans une librairie feuilleter des ouvrages d'astrologie. Mes vêtements sont encore propres et pas complètement démodés, si bien qu'on ne me chasse pas avec des regards fixes. Un temps pourra venir, bien sûr, où je pourrai seulement aller à la bibliothèque. Les pauvres s'y assoient. A la librairie, j'ai lu dans un manuel que j'avais la croix des massacreurs dans mon thème astral. Mon père avait une croix identique. Peut-être étions-nous des généraux dans notre vie antérieure. Il a été commandant de l'armée de terre, et moi, de l'armée de l'air. Il me donnait des ordres, et cela m'énervait, car je pensais être quelqu'un d'aussi bien que lui. Ma mère disait que j'étais la fille de mon père chaque fois que je faisais quelque chose qui ne lui plaisait pas. Selon toute probabilité, j'ai eu un passé haut en couleurs. J'ai pu être aussi bien Jack l'Eventreur que Landru ou l'empereur Néron. Je rêve souvent que des quartiers et des villes entières brûlent. Parfois seul un bâtiment important brûle, comme le Parlement, le Musée national ou l'Ateneum. La gare de Helsinki a brûlé un jour, et j'ai vraiment eu peur de l'avoir incendiée quand j'ai lu dans le journal queue avait brûlé. Je l'avais peut-être incendiée en rêve. Les rêves et la réalité sont si semblables que je ne sais pas les distinguer. Je suis un peu surprise que les gens qui affirment se rappeler le passé soient si souvent des rois ou des reines. Est-ce qu'ils ont une meilleure mémoire que les gens ordinaires ? Une femme, qui avait toute sa tête, se souvenait d'avoir été Anne Boleyn. Elle alla travailler dans une agence de publicité new-yorkaise et ressentit tout de suite, en même temps que de la terreur, un attrait violent pour son chef Ce n'est que plus tard qu'elle comprit que son chef était Henri VIII. Une autre femme aimait un homme avec lequel elle n'osait pas se marier et ne comprenait pas d'où venait son hésitation jusqu'à ce qu'elle se rappelât qu'elle avait été Elisabeth Ire et que l'homme était le duc de Leicester. Les hôpitaux psychiatriques sont pleins d'anciens empereurs et d'anciens rois. Peut-être ont-ils perdu la conscience du temps et ne se rappellent-ils pas qui ils sont à présent. Dans la cour, on entend le bruit des roues de la charrette du facteur. Un instant après, le rabat de la boîte aux lettres claque. Le facteur apporte le journal du Syndicat de la papeterie et une invitation à un sénùnaire. Quelqu'un fera une connnunication sur le thème « Problème de la forme biographique chez Virginia Woolf et dans Le Docteur Faustus de Thomas Mann ». Je devais devenir chercheuse. Le professeur m'encourageait, mais ensuite il en eut assez et e cessai d'assister au séminaire. Je faisais des recherches sur l'image de l'homme chez les Finlandaises de la Kanteletar à nos jours. Il y a trois ou quatre ans de cela, mais je reçois toujours des invitations. A présent, je cherche dans mes poches si, quelque part au fond, se trouve ne serait-ce qu'un mark, mais je n'ai trouvé qu'une touffe de poils, des petits cailloux et une plume de pie. Ce qu'on cherche, on ne le trouve pas. Un jour, je cherchais un bouton noir dans la bdite à couture, mais je trouvai un anneau en or. Il n'y avait pas de gravure à l'intérieur. Je le portai au clou, payai la facture d'électricité, celle du téléphone, et achetai des boutons noirs. Je feuillette le journal du Syndicat de la papeterie en attendant que l'eau du thé bouille. Le journal est adressé à l'ancien occupant et ce depuis quinze ans déjà. Le chat ouvre le placard frigorifique de la cuisine et's'assoit pour attendre qu'un oiseau vole dans sa gueule. Il se rappelle qu'un automne, à peu près à cette même date, quand les jours raccourcissaient et que la terre était couverte de gelée blanche le matin, un moineau s'est envolé de l'armoire. Maintenant, il est assis devant la porte, heure après heure. Notre vie s'écoule dans le sommeil et dans l'attente. La nuit, j'attends que le sommeil vienne et que l'ultime vérité se révèle. Que je devienne sage pendant la nuit et comprenne quel est ce monde. Le matin, j'attends que le courrier arrive et apporte une solution aux problèmes de l'existence. Que ma grand-tante, qui est allée en Amérique au début du siècle, ait trouvé un gisement de pétrole ou se soit mariée avec un millionnaire, et que j'hérite d'elle. Mais rien ne se passe quand on attend. © Catherine Froehlich
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