Lhassa, 1924
Enfin, après quatre mois de marche,
d'aventures et d'observations dont je n'ai pu raconter, ici,
qu'une infime partie, je quittai Détchène un matin, à
l'aurore, pour effectuer ma dernière étape vers Lhassa.
Le temps était beau, froid et sec, le ciel lumineux. Le soleil
levant fit apparaître devant nous, encore lointain et pourtant
s'affirmant déjà majestueux et dominateur, le grand palais du
pontife lamaïste.
le Potala grandissait à vue d'oeil |
« Cette fois c'est
la victoire ! » dis-je à Yongden. Mais lui m'imposa
silence «Non, pas encore, ne dites rien, ne vous
rejouissez pas. Que sait-on ? II nous faut encore
traverser le Kyi tchou, et, là, Si près du but, je me refusais à croire que peut se dresser un obstacle... » Cependant notre bonne chance pût nous abandonner, je n'insistai pas. Nous marchions rapidement, Tsi Potala grandissait à vue d'oeil. L'on distinguait nettement, à présent, les lignes élégantes les angles aigus, de ses nombreux toits dorés dont accrochant la lumière, lançaient des éclairs. |
La vallée que nous suivions
s'élargissait graduellement. Peut-être les montagnes qui
l'encadrent furent-elles jadis couvertes de forêts, mais
aujourd'hui pas un arbre n'y subsiste, en dehors de ceux qui ornent un
petit nombre de jardins dans les villages.
(...)
Arrivés au Kyi tchou, nous prenons passage dans un bac orné
d'une tête d'animal - probablement celle d'un cheval d'après
conception d'un artiste local. Une foule composite, gens et
bêtes, s'y entasse. Quelques minutes suffisent à la traversée,
personne n'a daigné jeter un regard sur des
guenilleux de notre espèce, il en passe là des centaines chaque
année(...)Un gigantesque rideau jaune, fait de sable suspendu,
est étendu devant le Potala, aveuglant ses hôtes, leur masquant Lhassa et
les voies qui y conduisent. Je l'interprète comme un symbole me
promettant une entière sécurité et l'avenir se chargera de
justifier mon interprétation. Pendant deux mois, j'en parcourrai
les temples, je me promènerai sur les plus hautes terrasses du
Potala et circulerai dans la Rome tibétaine sans que nul ne se
doute que, pour la première fois depuis que la terre existe une
femme étrangère a contemplé la ville interdite.
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