New-York, 7 avril 1933
La chose est faite.
Aujourd'hui, dès que les horloges eurent achevé de sonner
minuit, la prohibition n'existait plus dans l'Etat de New York et
dans dix-huit autres Etats de l'Amérique du Nord. La
fabrication, la distribution, la vente et la consommation de la
bière alcoolisée et du vin étaient permises après treize
années d'interdiction absolue.
Certes, cette liberté est toute relative: la teneur d'alcool se
trouve limitée à trois degrés dans les boissons nouvellement
admises. Le seul mot de « saloon », c'est-à-dire de bar, fait
encore si peur aux âmes timorées que la façon de distribuer
ces innocents breuvages n'a pu être réglée par les politiciens
de l'Etat de New York qui, pourtant, siègent à ce sujet depuis
plus d'une semaine dans Albany.
L'ère humide s'est ouverte sous un régime tout provisoire avec
une administration complètement débordée. Malgré cela, ce
jour est sans doute un grand jour pour l'Amérique. La première
étape est franchie vers l'abrogation d'une loi qui a enseigné
aux citoyens le mépris de la loi, d'un régime prévu pour
amender cent vingt millions d'habitants et qui en a fait des
buveurs de n'importe quel poison, qui a démoralisé la
jeunesse,
répandu la corruption et le crime dans des proportions
incroyables, a enlevé à l'Etat d'énormes ressources en lui
imposant des charges extravagantes de surveillance et de
contrôle qui ne servaient à rien.
Le président Roosevelt n'eût-il consacré que cette mesure
parmi toutes celles qui ont fait sa prodigieuse popularité,
qu'il fût devenu une manière de héros national. La vente de la
bière et du vin, même à trois degrés, est un signe, une
promesse, une porte ouverte sur des jours plus libres et
meilleurs dans un temps où tout est sombre et où une immense
nation, habituée à l'élan, au rush, à l'espoir violent et
actif, se trouve désemparée devant un renversement total des
valeurs.