Dejà
la Seine charrie des poissons morts.
Il n'y a plus qu'à s'asseoir sur un banc et attendre. La fin du
monde est pour dimanche.
Le plus tôt sera le mieux.
La bombe, l'énorme, la Super H, pétera un de ces matins ! C'est
sûr, c'est écrit. Et pas dans les tarots! Écrit dans le Grand
Livre où tout est consigné : la pomme, Eurêka, la marmite, la
roue, la dynamite, e=mc2.
Il en ressort très net, du Grand Livre, que, depuis la brouette,
l'homme n'a jamais rien inventé pour rien.
En attendant la mise à feu - alors que le compte à rebours
déjà virule dans les encéphalites intégrées -, il parait
indispensable d'énoncer les règles de ce qui, sinon, pourrait
avoir l'apparence d'un jeu...car je n'ai pas du tout l'esprit à
jouer...un certain temps déjà que je ne joue plus...à rien...
...l'immense panard que la Super-Super nous promet : l'aube enchanteresse où la fusée porteuse larguera l'ogive qui piquera, dans un ululement de chouette hystérique, sur quatre milliards cinq cents millions d'enfoirés. J'en bégaie de bonheur de les imaginer exorbités de pétoche, béants de connerie, dans « l'éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs », lorsque l'ultime et colossal champignon les aspirera avec leurs cosy-corners, leurs scènes de ménage, leurs récipissés de Caisse d'Epargne, leurs problèmes sexuels, leurs tickets de tiercé, leurs prostates, leurs machines à laver, leurs transistors!...Quatre milliards cinq cents millions de têtes de cons qui cesseront enfin de polluer le système solaire!...
« Nuit
et jour trois cents avions américains, porteurs de bombes
atomiques, tiennent l'air en permanence à moins de deux heures
de leurs objectifs et n'attendent qu'un signal rouge, disait à
ce moment Quentin. L'éventualité d'une mort
instantanée est la seule question résolument posée à tous les
instants et dans tous les esprits des habitants de cette
planéte, du moins chez les civilisés. Eh bien moi je réponds
que je n'ai pas peur. Il faut savoir mourir- avec son temps,
comme disent les braves gens.
- Sacrilège, disait Fouquet. Si vous crroyez que cette
complaisance envers la mort est chrétienne, vous vous trompez.
C'est beaucoup de présomption que de se précipiter ainsi vers
le jury en acceptant qu'il abrége le concours. C'est préjuger
de la qualité de votre copie. Etes-vous sûr d'abord d'avoir
traité le sujet? Moi pas. Avant de rendre la vie - je dis bien
rendre - je veux conserver le plus tard possible la faculté de
l'améliorer, je ne parle pas dans le sens d'un infléchissement
moral, mais d'un épanouissement. J'ai fait, l'autre jour, la
connaissance d'une très vieille dame qui semble s'être
décidée à mettre les bouchées doubles au bord de la tombe.
Elle est dans le vrai. Qui sait si nous ne serons pas comptables
de toutes les joies que nous nous serons refusées, de tous les
chemins que nous n'aurons pas suivis, de tous les verres que nous
n'aurons pas bus. Il ne faut pas cracher sur les cadeaux de la
création. Dieu
déteste cela.