Les sorcières pâtissières
de Jacqueline PierreIl y a bien longtemps, dans un petit village, vivaient deux sorcières: Chocolatine et Ronchonnette. Elles étaient sœurs mais ne se ressemblaient pas. Chocolatine était charmante et toujours de bonne humeur. Très gourmande, elle faisait de délicieux gâteaux qui parfumaient toute la rue et attiraient les enfants des maisons voisines.
Au contraire, Ronchonnette n'arrêtait pas de rouspéter du matin au soir, et faisait d'horribles gâteaux dont personne ne voulait. Ils étaient toujours d'une couleur affreuse et contenaient des fourmis, des mouches, des bouts de peau de serpent ou de la bave de crapaud.
Ce jour-là, Chocolatine préparait une tarte aux abricots. De son côté, Ronchonnette touillait une crème dans laquelle elle avait mis des araignées et beaucoup de poivre.
"Une tarte aux abricots! Et du sucre! grognait-elle en regardant le gâteau de sa sœur. En voilà une drôle d'idée! Pouah!"
Bientôt, trois petites têtes apparurent à la fenêtre:
"Bonjour, Chocolatine! dit Paulo:
- Hum… ça sent bon ici! ajouta Fanfan.
- Moi j'ai faim! s'écria Mathilde.
- Entrez et asseyez-vous", dit Chocolatine en posant la tarte dorée sur la table.
En un clin d'œil le plat fut vide.
Ronchonnette dit alors, de sa voix de canard enrhumé:
"Puisque vous êtes là, régalez-vous avec ma merveilleuse "Crème Cacaboudin". J'ai trouvé la recette dans le Grand Livre des méchantes sorcières. Vous ne trouverez pas meilleur!
- Beurk… beurk! répondirent les enfants avec des mines dégoûtées.
- Elle sent très mauvais, ta crème, dit Mathilde, qui n'avait pas sa langue dans sa poche.
- Fais de bons gâteaux comme Chocolatine et on les mangera!" ajouta Fanfan.
Alors Ronchonnette sortit en claquant la porte:
"J'en ai assez, dit-elle. Il faut que ça change!"
Cette nuit-là, Ronchonnette se leva sans faire de bruit, entra dans la cuisine et prit les bocaux de Chocolatine. Elle mit des fourmis dans le bocal de sucre, remplaça les œufs frais par des œufs pourris et versa du poivre sur le chocolat.
Puis elle retourna se coucher en se disant:
"Demain, nous rirons bien!"
Mais Chocolatine ne dormait pas. A son tour, elle se leva et alla dans la cuisine.
Quand elle s'aperçut que quelqu'un avait touché à ses bocaux, elle remit tout en ordre et repartit se coucher sur la pointe des pieds.
"Demain, nous rirons bien!", se dit-elle.
Le lendemain, Ronchonnette alla cueillir quelques orties bien piquantes pour son prochain gâteau.
Au goûter, les enfants se régalaient avec la mousse au chocolat quand ils entendirent des cris:
"Au secours! Venez m'aider, vite!"
Chocolatine et les enfants se précipitèrent dans le jardin et découvrirent Ronchonnette, tombée dans les orties. Ses mains étaient toutes piquées et gonflées.
"Ça brûle! Sors-moi de là, stupide Chocolatine!
- Je t'aiderai quand tu seras plus polie! dit sa sœur.
- S'il te plaît, gentille Chocolatine…" murmura Ronchonnette.
A la maison, Chocolatine mit la pommade sur les mains de sa sœur, pour calmer ses brûlures. Ronchonnette demanda alors aux enfants:
"Qu'avez-vous mangé pour votre goûter?
- Une mousse au chocolat! Il en reste un peu, dit Paulo, manges-en, elle est drôlement bonne!"
Ronchonnette en prit une première cuillerée, puis une deuxième, une troisième, et finit tout le reste, sous les yeux étonnés de Chocolatine.
"C'est bizarre… Je ne sens pas le goût des œufs pourris… ni celui du poivre. Et où sont les fourmis? Pourtant… c'est drôlement bon, comme dit Paulo!"
Depuis ce jour, Ronchonnette fait de vrais bons gâteaux. Elle a jeté au fond du jardin les fourmis, la poudre de mouches, les morceaux de serpent, la bave de crapaud. Elle rouspète moins, comme si elle s'était aussi débarrassée de sa mauvaise humeur.
Bien sûr, elle est toujours un peu bizarre: parfois, sa crème chantilly est verte parce qu'elle y met du persil; sa mousse au chocolat est toute noire parce qu'elle y ajoute du café, et ses tartelettes aux fraises sont souvent parsemées de mouches… en sucre!
Ronchonnette dit que c'est pour faire plus joli. Quand vous passerez par ce village, allez donc voir les sorcières pâtissières.