La portée musicale
de Hervé DebryUn petit la vivait chez ses parents. Il n'avait ni frère ni sœur et s'ennuyait tout seul. Un jour il dit :
- Je m'en vais, je veux rencontrer d'autres notes pour chanter, danser et m'amuser.
Il partit et rencontra un ré qui avait un grand nez.
- Où vas-tu ? questionna le petit la.
- Je vais là où va mon nez, et toi ?
- Moi, je cherche d'autres notes pour chanter, danser et m'amuser.
- Je te suis, dit le ré.
Ils rencontrèrent un gros do qui mangeait du cacao.
- Où allez-vous ? demanda le gros do.
Ils arrivèrent à un carrefour.
- Si on allait à droite ? dit le la.
- Si on allait à gauche ? dit le do.
- Si on allait au milieu ? dit le ré.
Personne ne voulait prendre la même direction.
- Et si on tirait à la courte paille ? proposa le petit la.
- Et si on mangeait ? dit le gros do.
- Et si on retournait ? dit le grand ré.
- Et si...
- Qu'est-ce qu'il y a encore ! Laissez-moi tranquille, je voudrais dormir ! hurla une voix furieuse venant d'un arbre tout proche.
- Qu'est-ce que c'est ? dit le grand ré.
- Je ne sais pas, dit le petit la.
- Ne restons pas là, j'ai peur, murmura le gros do, on ne sait jamais si...
- J'arrive ! gronda la voix.
Et de l'arbre tomba un si. C'était un petit si tout maigre et rabougri.
- Oh ! le pauvre si ! s'exclama le la, qu'est-ce qui t'est arrivé ?
- Je n'ai jamais un instant tranquille, gémit le si, on a toujours besoin de moi : Si on faisait ci ? si on faisait ça ? si on allait par-ci ? si on allait par-là ? si patati, si patata... je n'en peux plus, je vais mourir si ça continue...
- Vous vous trompez, ce n'est pas vous qu'on appelle, c'est l'autre si, déclara le grand ré.
- L'autre si ?
- Oui, le si de la conversation : Si demain il fait beau, j'irai aux escargots, si l'escargot me fait les cornes, je lui tire la queue. Vous vous êtes le si de la musique, vous n'avez rien à voir avec lui.
Le si sauta de joie.
- Youpi ! je suis libre, alors ! je pars avec vous !
Et ils partirent tous les quatre. Ils marchèrent longtemps et, un soir, ils arrivèrent chez le fa.
Le fa dormait comme un boa. Le do lui tira le nez, le si lui tira les pieds, le ré lui tira les oreilles, le la lui tira la langue.
- Hein ! Quoi ! Qu'est-ce que c'est ? s'écria le fa.
- Lève-toi ! On a besoin d'un fa pour faire la gamme.
- Je préfère dormir, bâilla le fa.
On le poussa, on le tira, on l'entraîna et il s'en alla avec le do, le ré, le si, et le la.
- Nous ne sommes pas complets ! s'exclama le petit la, il manque le mi et le sol.
- Je connais un sol, dit le fa.
Ils trouvèrent le sol qui faisait des cabrioles sous son parasol.
- Viens avec nous, dit le la, on a besoin de toi pour faire la gamme.
- Moi ! faire le sol ! Rien que d'y songer je flageole ! gémit le sol.
- Arrête de faire le guignol et viens avec nous ! s'écria le la, maintenant, il faut trouver le mi.
Le mi était petit, c'était un petit mi. Il vivait dans un nid de pie et mangeait du pain de mie. Le rêve du petit mi était d'être un colibri qui chante, matin, soir et midi. Mais le petit mi chantait faux, ses solos finissaient en trémolos, et il éclatait en sanglots qui mouillaient jusqu'aux os. Le petit mi était là, assis au bord du nid, quand il vit le si, le la, le fa, le do, le sol, le ré qui s'en allaient à la queue leu leu par les chemins bleus.
- Oho ! cria le mi.
- Voilà un mi ! Venez donc chanter et danser avec nous ! cria le petit la.
- Je chante faux, pleurnicha le mi dans son nid.
- Nous vous apprendrons, et vous serez le plus beau, le plus mimi des mi !
Le mi dégringola de son nid.
- Je veux bien chanter avec vous, je m'ennuie tout seul dans mon nid.
- Nous sommes au complet pour faire la gamme, dit le la, mais il faut trouver une portée musicale. Sans elle nous ne pourrons pas jouer.
- J'en connais une ! s'exclama le mi, ses notes se sont disputées, et l'on quittée. Elle est seule et s'ennuie comme une vieille chaussette au fond d'un placard.
- Courons-y vite ! s'écria le la.
Le do, le ré, le mi, le fa, le sol, le la, le si coururent et trouvèrent la portée qui bâillait d'ennui comme une huître à marée basse.
Ils s'installèrent dans la portée et ne se quittèrent plus, jouant, chantant et s'amusant comme des fous.