La guerre de l'alphabet de Daniel Gauche

Il était une fois une grande, très grande famille ! Les membres étaient au nombre de vingt-six, et tous s'étaient mis d'accord pour se trouver un nom : l'alphabet ! Ils habitaient un pays qu'ils avaient appelé le Français, et ils y vivaient heureux, et fiers d'appartenir à la race des lettres, jusqu'au jour où une terrible querelle éclata. Ils décidèrent donc de couper leur beau pays en deux. Il y aurait désormais le territoire des consonnes, et celui des voyelles !
Mais comme si cela ne suffisait pas, le chef des consonnes, le B, décida de déclarer la guerre au chef des voyelles, le A.
Relevant le défi, l'armée des voyelles se présenta devant celle des consonnes et entreprit de se compter.
Ce fut un véritable moment de panique. Ils étaient beaucoup moins qu'en face ! Un des soldats, le E, courut voir son commandant.
- Chef, chef ! Nous ne sommes que six. Jamais nous ne pourrons vaincre !
Le commandant A entra dans une colère folle.

- Comment ça, nous ne sommes que six ! C'est impossible, montrez-moi la liste ! Il y en a sûrement qui se sont sauvés avant la bataille !
- Mais non, reprit le E, nous n'avons toujours été que six ! Il y a vous, notre chef : le A, moi ; le E, puis I, O, U et le lointain cousin du I, le Y ! Ça fait bien six.
Le A ne savait plus que faire. Fallait-il renoncer à la bataille ? Ou bien se battre jusqu'au dernier d'entre eux ?
Car c'était sûr, ils allaient être écrasés par l'ennemi.

En face, le B, qui ignorait tout de ce qui se passait dans l'autre armée, comptait lui aussi ses hommes.
- B, C, D, F, G, H, J, K, L, M, N, P, Q, R, S, T, V, W, X, Z ! Parfait ! s'écria-t-il, rassuré. Nous vaincrons c'est sûr.
Puis, il décida que le temps était venu d'engager le combat, et demanda à l'un de ses soldats d'aller chercher les arcs et les flèches. Il venait à peine de donner son ordre, qu'il vit son homme revenir complètement affolé.
- Chef, c'est une véritable catastrophe ! Un désastre...
- Qu'est-ce qui se passe ? Que me chantes-tu, nous allons gagner !
- C'est pas sûr, chef ! Il n'y a plus d'ARCS, seulement des .RCS, il n'y a plus des FLÈCHES, il ne reste plus que des FL.CH.S !Comment voulez-vous que nous nous battions !
Le chef des consonnes, le B, n'en croyait pas ses oreilles ! Il était inutile de vouloir se battre dans de pareilles conditions. Ils allaient certainement perdre la guerre, et l'armée des voyelles devait, elle, avoir tout ce qu'il lui fallait !

Ce qu'il ignorait, c'était que chez les voyelles, qui avaient fini par voter pour la bataille, la même scène se déroulait ! Le A avait demandé à l'un de ses soldats de chercher les lances et les boucliers, avant de le voir revenir complètement apeuré.
Chef, inutile de nous battre. Il n'y a plus de BOUCLIERS, nous n'avons que des .OU..IE..
- Alors nous sommes perdus ! s'écria le chef des voyelles. Je vais aller voir le B et tenter de signer la paix avec lui !
De l'autre côté, le B faisait la même réflexion, et tous deux se croisèrent à mi-chemin, chacun commençant à accuser l'autre de voleur. Ils allaient encore se disputer, quand ils entendirent une petite voix les appeler.

Un petit garçon qui rêvait cette histoire commença à leur expliquer ce qui s'était vraiment passé.
- Personne n'a volé personne ! C'est vous-mêmes qui avez créé cette situation en vous séparant. Les voyelles d'un côté, et les consonnes de l'autre, c'est impossible au pays du Français ! Vous êtes nées pour vivre toutes ensembles ! Et les unes sans les autres, vous ne signifiez plus rien. Vous comprenez ? Si vous voulez rester dans ce si beau pays, il vous faut vivre ensemble !
- D'accord, dit le A.
- D'accord, dit le B.
- Je suis bien content ! ajouta le petit garçon. Si vous en aviez décidé autrement, j'aurais eu bien du mal à parler correctement, et à rêver d'autres histoires !