Aux manifestants contre le sommet de l'Union Européenne et aux participants au contre-congrès 

Nous nous réjouissons de pouvoir saluer cette manifestation contre l'Union Européenne. En effet, cette possibilité d'être présents, malgré tout, est
doublement importante.
D'une part, votre initiative doit pouvoir être une avancée dans la construction d'une gauche européenne, radicale dans son refus du capitalisme et de
l'impérialisme.
D'autre part, c'est dans le développement de cet antagonisme que nous pouvons puiser les forces pour résister à notre enfermement au long cours.
En effet, une fois encore, nous voulons dire à quel point la situation des prisonniers politiques est interne à la question révolutionnaire, interne à la
capacité des luttes et mobilisations sociales à se politiser. 

A la fin des années 60, il y eut en Europe et sur les autres continents une poussée révolutionnaire générale. Elle pensa pouvoir faire naitre un monde
libéré de l'exploitation et de la misère. En finir avec ces maux du capitalisme semblait à portée de main. Combattre les rapports économiques et
politiques, sociaux, bref humains, que génère l'inégalité de l'ordre impérialiste exigeait un engagement total et immédiat. 

Au cours des années 70 et 80, naissaient en Europe même de nombreuses organisations armées. Attaquant les responsables, les centres de
décision, ..., elles perpétraient des attentats contre les organisateurs de cette inégalitaire société du spectacle où les chiffres se télescopent.
Considérée en termes de produit industriel brut, la richesse mondiale a doublé en 20 ans; depuis 1960, le cinquième des habitants les plus démunis
est devenu 60 fois plus pauvre que le cinquième le plus prospère. Et ce ne sont que quelques chiffres parmi beaucoup d'autres qui rendent compte du
décalage croissant entre d'un côté une bourgeoisie monopoliste toujours plus prospère et agressive, de l'autre, un prolétariat dont les conditions de
vie ne cesse de se dégrader dans le même mouvement où sa force de travail est vendue à l'échelle mondiale. 

Dès le milieu des années 70, face à la crise généralisée du mode d'accumulation fordiste, face au développement de la lutte armée, les Etats de la
future Union Européenne renforçaient leurs appareils de répression. L'intégration de ces appareils à la machinerie complexe de la contre-révolution
préventive fut ainsi l'une des marques constitutive de l'Union Européenne en formation. L'espace judiciaire européen permettait d'aligner vers le bas
la défense des militants emprisonnés. A partir du laboratoire européen en matière d'isolement total qu'avait été la R.F.A. dès le début des années 70,
cette méthode de destruction était exportée dans les autres pays. En Italie, en R.F.A., en Espagne, en France, diverses lois et mesures d'exception
permettaient de juger les militants dans des conditions bafouant les principes démocratiques dont se prévalent ces Etats, tortures, accusations
montées de toute pièces, droits de la défense réduits à la portion congrue. 

En criminalisant les mouvements révolutionnaires, c'était l'idée même d'oser penser concrètement la révolution qu'il fallait faire taire. Pour
alimenter le spectacle "démocratique" l'opposition intégrée au système suffisait amplement. Les sentences de prison à vie tombaient par centaines.
Aujourd'hui, si certains prisonniers ont été libérés suite à des aménagements de peine, les autres supportent toujours des conditions différenciées de
détention. La répression féroce des années 80 assume un poids bien actuel sur les luttes, même si elle est tue et niée. Et c'est ce poids que vous
contribuez à soulever alors même que la guerre en cours dans les Balkans dessine l'avenir d'un monde assujetti à l'ordre impérialiste. L'horreur des
tueries causées par les bombardements de l'OTAN et les massacres interethniques rythmés par les différents partis chauvins d'ex-Yougoslavie
s'imposent à nous tous comme la réalité de cette fin de millénaire. Ils font échos aux dizaines de conflits en Afrique, en Asie, au Proche Orient, ...
Ils font échos aux millions de réfugiés traînant leur exil dans un nouvel esclavage "flexible" et aux millions de morts "pour rien" si ce n'est les
intérêts d'un clan ou d'un autre dans la vente des richesses sociales d'une région au nouveau colonialisme de la triade USA-Union Européenne-Japon.
Que les intérêts géo-stratégiques des impérialistes ne se déclinent plus en termes de conquêtes du territoire mais comme des zones d'influence où les
flux du marché global peuvent librement circuler change certes la nature de cette "recolonisation". Mais l'important, pour nous, vous qui êtes
rassemblés ici et nous derrière les murs de nos prisons, c'est la signification de cette guerre pour ceux et celles n'en voulant pas. Ainsi est important
ce que cette guerre nous dit sur le mélange explosif entre unanimisme de la "communauté internationale" des possédants et concurrence accrue
inter-impérialiste qui y anime la tendance à la guerre. Et le fait que Milosevic soit le bourreau que l'on sait ne change rien à l'affaire. 

Cette guerre obéit aux logiques de la pire brutalité impérialiste. Contre cette brutalité s'impose l'exigence d'une politisation des luttes et
mobilisations sociales.
Doit pouvoir en être le levier le fait même que cette guerre soit conduite par une coalition où, de la gauche plurielle française aux roses-Verts
allemands en passant par le "nouveau socialisme" d'un Tony Blair et un gouvernement italien dirigé par l'ex-PCI, la social-démocratie européenne
toute entière est impliquée jusqu'au cou dans la politique belliciste du Parti de la guerre. Et ne devraient pas être nombreux ceux qui s'étonnent de ce
passage de prétendus alternatifs et communistes au service de la bourgeoisie monopoliste. Les étiquettes changent un peu, mais la fonction de la
social-démocratie demeure. Elle accède au pouvoir soit pour trahir une révolution soit pour réaliser le programme que la bourgeoisie n'a pas su
appliquer seule. Elle accomplit sa tâche dans un bond en avant de la répression-manipulation des prolétaires.
Aujourd'hui, c'est la violence institutionnelle de la guerre qu'elle nous vend comme le nec plus ultra d'une prétendue civilisation européenne; hier
c'était celle des profits pour les patrons et la nécessaire adaptation des exploités à leurs dictats; demain, ce sera encore et toujours la répression
sociale et politique contre les pauvres, ceux d'ici et ceux de là-bas, contre lesquels se bâtit l'Europe forteresse. Chaque élément du puzzle est plus
qu'une partie du tout ou, plus exactement, chaque lutte, chaque revendication contre cet état des choses existant, doit porter en elle le mouvement
pour l'abolir. Cela ne peut être que si ces luttes rompent avec le néo-réformisme et les cadres du système dans lesquels ce réformisme les enferment.
C'est dans cette rupture qu'elles acquièrent la qualité politique nécessaire à l'expression d'un authentique mouvement anti-capitaliste et
anti-impérialiste. 

Dans les années 80, le "guerre à la guerre" fut une action permanente du mouvement révolutionnaire. Répondant à la permanence de la guerre et de la
course aux armements, elle se traduisit par des millions de sabotages des efforts de guerre de la bourgeoisie. Armées ou non, les différentes structures
d'auto-organisation du prolétariat oeuvrèrent au front anti-impérialiste. 

Tandis que l'activité contre la guerre au Vietnam fut l'un des fondements de l'engagement armé de la RAF, les actions d'organisations
anti-impérialistes US ciblèrent le complexe militaro-industriel impliqué dans les guerres de basse intensité en Amérique Latine.
Dans les métropoles, la résistance anti-guerre liait les 3 fronts de la guerre de classe, le front anti-impérialiste au front anti-capitaliste, mais aussi au
front anti-opportuniste. Car elle faisait irruption au coeur même de la guerre permanente établie par le militarisme et déchirait le consensus établi
avec l'impérialisme grâce au concours des forces de la "coexistence pacifique" (partis, syndicats, groupuscules institutionnels), c'est-à-dire avec toutes
les forces de la contre-révolution permanente. 

A vous, à nous, à tous les révolutionnaires, de définir ce qui peut être fait de cette expérience aujourd'hui, de ses
erreurs et échecs mais aussi des avancées dont elle fut porteuse. C'est ainsi que le faire la "Guerre a la guerre"
retrouvera une praxis à la hauteur de son actualité brûlante. 

                              Contre l'Europe du capital, doit s'imposer la résistance des prolétaires et des peuples opprimés.
                                                     Contre l'Europe belliciste, doit se développer la guerre au parti de la guerre.
  Contre l'Europe forteresse et policière, doit vivre la solidarité vis-à-vis des réfugiés et des victimes de la répression. 

  

Joëlle Aubron, Nathalie Ménigon, Jean-Marc Rouillan
prisonniers d'Action Directe, juin 1999 

  


                                                                                                                                             

© 1997
Merci au site de Nanar


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